TRANSITION ÉNERGÉTIQUE UN DÉFI CITOYEN
DOSSIER
Réalisé par Katia Vilarasau
Moins consommer, produire autrement ! ... Face aux injonctions gouvernementales et aux impératifs de la transition écologique, comment les citoyens peuvent-ils redevenir acteurs et s approprier les enjeux énergétiques sur leur territoire ?
Record de températures, ampleur des sécheresses, multiplication des catastrophes (incendies, vents et précipitations extrêmes ), l année 2022 préfigure-t-elle notre avenir climatique ? Pour espérer contrer les effets du réchauffement de la planète, il faudrait réduire drastiquement notre production d énergies fossiles. Au sortir de la pandémie de Covid-19, les gouvernements prévoyaient collectivement une augmentation de la production mondiale de pétrole et de gaz et seulement une faible diminution de la production de charbon. Mais, la guerre en Ukraine et la flambée du prix de l électricité ont changé la donne. En France, une série de mesures a été annoncée en octobre dernier, appelant notamment à adopter des gestes de sobriété, afin de réduire de 10 % notre consommation d énergie dans les deux prochaines années : chauffage réduit à 19° dans les habitations et les bureaux, encouragement au télétravail et au covoiturage, extinction des lumières des magasins et des publicités lumineuses entre 1 et 6 heures du matin, etc.
LES PIONNIERS DES ANNÉES 2000
En France, les premières initiatives en faveur d une énergie alternative
et citoyenne ont vu le jour dans les années 2000, avec l ouverture
du marché de l électricité. En 2005 naît le fournisseur d énergie
renouvelable Enercoop, une coopérative de producteurs et de consommateurs basée sur les principes de participation
et d'implication citoyenne de l Économie sociale
et solidaire (ESS). Considérant l énergie comme un bien commun, le mouvement
considère qu elle ne peut être laissée uniquement aux mains du marché,
sans souci réel des enjeux locaux et citoyens.
Sobriété : à titre individuel ou collectif ? Bien que nécessaires, ces écogestes seraient toutefois insuffisants. Selon un rapport publié en 2019 par le cabinet de conseil Carbone 4, seuls 25 % des baisses d'émissions de gaz à effet de serre pourraient être réalisées grâce à des comportements individuels, contre 75 % pour des actions collectives. L autre moitié du gisement de réduction est aux mains des acteurs clés de notre environnement sociotechnique à savoir les pouvoirs publics et les entreprises indique cette étude. Pour le sociologue Philippe Hamman, les appels à la sobriété relèvent du registre de l individualisation des conduites. Sur le modèle du colibri, construit par les acteurs alternatifs et environnementalistes, chacun doit faire sa part. Mais ce discours, lorsqu il est repris par l État, a pour effet d invisibiliser un certain nombre de conditions sociales nécessaires pour s engager dans la sobriété. Ce qui relève aussi de la responsabilité publique peut disparaître en partie au profit d un modèle individuel rationnel, alors que les capacités d agir ne sont pas les mêmes pour tous les individus, selon leurs revenus, leur statut familial, leur état de santé, leur lieu d habitation
En France, une série de mesures a été annoncée, appelant notamment à adopter des gestes de sobriété. Bien que nécessaires, ces écogestes seraient néanmoins insuffisants.
Quelle place pour les initiatives citoyennes ? Ces mesures gouvernementales font surtout l impasse sur les capacités d action des citoyens et des associations. Notamment dans la création de nouveaux outils. Aux côtés d Écowatt, site Internet mis en place par le gestionnaire du réseau électrique français RTE en partenariat avec l Agence de l environnement et de la maîtrise de l énergie (Ademe) pour suivre la production et la consommation d électricité, l ingénieur informatique Guillaume Rozier a ainsi lancé TrackMyWatt : ce site gratuit permet de suivre la consommation d énergie en France en temps réel, son évolution par rapport à la moyenne des autres années, les pics de puissance, etc. Créée en mai, la startup Don de chaleur souhaite, elle, rassembler les consommateurs autour de défis pour réduire la consommation de gaz et d électricité, l énergie économisée étant ensuite reversée sous forme d argent au profit d actions solidaires contre la précarité énergétique. Les démarches low-tech, mettant en œuvre des technologies simples, utiles, durables, peu onéreuses et accessibles localement, essaiment également : cuiseurs solaires et marmites norvégiennes dans la cuisine, habitats partagés et mutualisation des usages des bâtiments, pose de mini-éoliennes sur les toits Autant d innovations recensées dans une récente étude de l Ademe.
Produire localement de l énergie décarbonée ? Autre champ d action : la production d énergie locale par le biais de mini-centrales solaires ou de mini-parcs éoliens créés par des collectifs citoyens. Embryonnaire en France (contrairement à l Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark), ce concept gagne du terrain. Pionnière de l éolien citoyen, l association Éoliennes en Pays de Vilaine est à l initiative des trois parcs éoliens citoyens à Béganne (Morbihan), Sévérac-Guenrouët et Avessac (Loire-Atlantique), depuis 2003. Né en 2010, le réseau Énergie Partagée soutient, quant à lui, les projets de production d énergie renouvelable citoyenne en regroupant 300 structures adhérentes, dans le solaire, l éolien, le bois énergie, l hydroélectricité ou la méthanisation. Philippe Hamman a passé trois ans à observer les coopératives énergétiques citoyennes, leur fonctionnement et les motivations de leurs membres. Elles permettent une meilleure prise de conscience des enjeux énergétiques. Mais aussi de s interroger sur les objectifs de la transition écologique, à savoir : doit-on faire mieux en trouvant des solutions technico-économiques compatibles avec une croissance verte, sans forcément modifier ses comportements ? Ou, faire moins en réduisant la production et la consommation ?
Vers un modèle alternatif ? Ces coopératives pourraient-elles représenter une alternative à notre système énergétique, voire même une voie possible vers un nouveau modèle économique plus à même de résoudre la crise environnementale ? Elles restent, en tous cas, dépendantes du bon vouloir des collectivités et des entreprises pour la mise à disposition de terrains, des toits d une école, d un stade, d une usine... Et elles ne peuvent se lancer que grâce au soutien financier des collectivités territoriales, mais aussi de l État qui, à la différence d autres pays (ex. : l Allemagne), leur assure d acheter pendant vingt ans l électricité qu elles produisent à un prix garanti. Il ne faut pas confondre la relocalisation de l énergie avec une rupture de modèle, souligne Philippe Hamman. D abord, l énergie produite par les coopératives citoyennes, même si elle est utilisée localement, va être réinjectée dans le réseau électrique national. Ensuite, les motivations des coopérateurs peuvent être différentes, en étant soit militantes, soit liées à l efficience.
Usine de biogaz.
Quid de la solidarité interterritoriale ? Enfin, la production d énergie citoyenne pourrait-elle réduire les inégalités sociales et territoriales exacerbées par le changement climatique ? Rien n est gagné. Parmi les obstacles rencontrés : le fait qu acheter des actions dans une coopérative peut représenter une sélectivité sociale à l entrée ou encore que la pose de panneaux voltaïques est moins aisée en ville notamment pour des questions juridiques. Est-on dans un entre-soi de personnes convaincues et militantes ou vise-t-on une diffusion à large échelle pour avoir une alternative sociétale en termes de transition plus large ?, s interroge le sociologue.
La relocalisation de l énergie pose également des questions de solidarité inter-territoriale. Par exemple, la production d énergie solaire n est pas identique et n aura donc pas le même coût à Nice ou à Lille. L avantage d alimenter et de partager un réseau national comme celui géré par ENEDIS/ EDF est de rendre le prix de l électricité identique quelle que soit sa localisation. L enjeu est alors de savoir comment positionner l autonomie énergétique : si le curseur est placé vers l indépendance locale, se poserait forcément à terme la question du coût du réseau électrique supporté par tous, et donc de la solidarité qu il sous-tend. La transition énergétique appelle encore bien des débats et des réflexions sur les types de transformation qu elle implique et sur les possibilités pour chacun d y prendre part ou non.
UN LEVIER D ACTION POUR LES CITOYENS
EXPERT
PHILIPPE HAMMAN, SOCIOLOGUE*, AUTEUR DE LES COOPÉRATIVES ÉNERGÉTIQUES CITOYENNES, PARADOXES DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ? (ÉD. : LE BORD DE L EAU, 2022).
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Les coopératives énergétiques citoyennes aident-elles à la prise de conscience des enjeux énergétiques ? Oui car, à la différence des grands projets industriels comme les fermes éoliennes off-shore, elles présentent pour principal intérêt de rendre concret le circuit de l énergie. Nous n en avons pas de perception directe, la vision commune de l énergie se limitant souvent à l électricité, et l électricité à la prise de courant dans le logement. Grâce aux ancrages locaux de leurs adhérents, qui habitent généralement près des sites de production, ces coopératives offrent aux citoyens une triple sensibilisation aux concepts de production, de consommation et de circuit de l énergie.
En quoi cette sensibilisation est- elle importante ? L enjeu est de ne pas tomber dans une sensibilité environnementale de principe qui débouche rarement sur des possibilités d action. Prenons l exemple de l éolien : en théorie, cette forme de production d énergie est acceptée ; mais elle l est bien moins lorsqu elle s installe à proximité de chez soi. Prendre conscience des contraintes de la production énergétique, facilite l adhésion aux différentes techniques de production. Par ailleurs, tous les coopérateurs ne changent pas de mode de vie : être sensible aux questions énergétiques ne conduit pas nécessairement à abandonner sa voiture ou à renoncer à prendre l avion. La rationalité totale n existe pas !
Propos recueillis par Katia Vilarasau
* Professeur à l Institut d urbanisme et d aménagement régional de la Faculté des sciences sociales à l université de Strasbourg, et chercheur au laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe .
UN PARC PHOTOVOLTAÏQUE 100 % CITOYEN
Enercoop, fournisseur d électricité verte , a été l un des premiers partenaires des Survoltés d'Aubais pour créer un parc
photovoltaïque.
En Occitanie, le collectif Les Survoltés d Aubais a créé, en 2018, le premier parc photovoltaïque au sol financé uniquement par des fonds citoyens.
Avec ses 700 panneaux solaires, le parc de 5 000 m² produit 380 MWh d'électricité renouvelable chaque année, de quoi alimenter 10 % de la consommation du village. À l origine de sa création : le collectif citoyen les Survoltés d Aubais, dans le Gard. Rassemblés à l origine pour s opposer à l exploitation du gaz de schiste dans les Cévennes, les Survoltés ont saisi au bond l appel à projet énergies positives et citoyennes lancé en 2014 par la région Occitanie. Leur idée : bâtir une ferme solaire sur le site d une ancienne décharge, ni constructible, ni cultivable. La plus grosse difficulté ? Convaincre les élus de la commune !, raconte Antoine Rousseau, membre du collectif. Le financement, 100 % participatif, a réuni 274 sociétaires, pour moitié des habitants des environs. Le soutien de la région Occitanie et d Énergie Partagée, un fonds d investissement composé d actionnaires particuliers qui accompagne des projets d énergie citoyenne, a fait le reste.
Cercle vertueux Depuis, Les Survoltés d Aubais ont créé avec un autre collectif, les Cowattés d'Entre-Vignes, la coopérative ACTTE (Accélérateur citoyen pour des territoires en transition énergétique), qui emploie une jeune ingénieure chargée de conseiller les collectivités, les entreprises et les particuliers dans la production d énergie renouvelable. Son dernier projet : équiper les toits de la cave d Héraclès, la plus grande coopérative viticole biologique d Europe, de panneaux photovoltaïques construits dans la région de façon durable. Héraclès a loué sa toiture à ACTTE qui a lancé un investissement citoyen, coordonné la pose de panneaux solaires, contractualisé la vente de la production électrique à l opérateur Enercoop et assure la maintenance de l équipement, explique Antoine Rousseau. Une partie des revenus générés participe au financement du poste salarié d ACTTE. La boucle est bouclée !
LES JEUNES, NOUVEAUX PILIERS DE LA TRANSITION
ÉCOLOGIQUE
Partout dans le monde, des jeunes se mobilisent, avec les mouvements This is Zero Hour nés à Seattle,
Student energy, Fridays for the future créé par Greta Thunberg ou encore
Youth for Climate France. Nombreux sont également les étudiants qui s engagent dans des réseaux comme
Pour un réveil écologique, Les Ingénieur·es engagé·es, Alumni for the planet, ou qui expriment la nécessité d agir face à l urgence climatique lors des remises
de diplômes des grandes écoles.
287 projets citoyens
d énergie renouvelable sont labellisés
par le ministère de la Transition écologique.
272 d entre eux concernent la production d électricité et 21 la production de chaleur.
25 009 actionnaires citoyens
sont mobilisés.
Ces projets ont permis de produire
93,2 GWh en 2021, soit l équivalent de la consommation
électrique hors chauffage et eau chaude sanitaire de 78 983 personnes.
Source : Les chiffres clés de l énergie citoyenne, Énergie Partagée, 2022.
Les projets citoyens rapportent au tissu économique local au moins
2,5 fois ce qui a été investi grâce à la fiscalité, aux loyers,
aux salaires, aux prestations et aux revenus de l investissement.
Source : Les retombées économiques locales des projets citoyens, Énergie Partagée, 2019.
En 2019,
19 % du mix énergétique français en énergie finale
(c est-à-dire livrée au consommateur) est d origine renouvelable.
Source : Chiffres clés des énergies renouvelables, 2021.
6 - Valeurs Mutualistes n°330 - 4e trimestre 2022
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