L implication des perturbateurs endocriniens de la pollution atmosphérique ou de l exposition aux pesticides dans les maladies chroniques ne fait plus de doute aujourd hui. Préoccupation grandissante des Françaises et des Français, la santé environnementale fait l objet d initiatives de plus en plus nombreuses sur le terrain.
Les preuves des effets de la pollution sur la santé s accumulent. Exemple avec l étude XENAIR publiée en octobre. Financée par la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, elle porte sur l association entre l exposition chronique à faible dose aux polluants de l air et le risque de survenue du cancer du sein. Nous avons exploité les données de la cohorte E3N, composée de 100 000 femmes nées entre 1925 et 1950 et suivies via des questionnaires de santé depuis 1990, explique Delphine Praud, épidémiologiste en recherche environnementale au département Prévention Cancer Environnement du centre Léon Bérard de Lyon qui a piloté la recherche. 80 % des cancers du sein étant hormonodépendants, notre objectif était d étudier le rôle des polluants atmosphériques ayant une activité de perturbateurs endocriniens, à savoir les dioxines, le benzo [a] pyrène, les PCB et le cadmium. Ont été ajoutés d autres polluants auxquels nous sommes exposés quotidiennement, notamment en milieu urbain : les particules fines PM2,5 et PM10, le dioxyde d azote et l ozone. La situation de 5 222 femmes ayant développé un cancer du sein entre 1990 et 2011 et celle de 5 222 femmes indemnes de cette pathologie a été comparée.
Nous avons pu établir leur exposition à la pollution de l air chaque année jusqu au diagnostic du cancer du sein, en recoupant les cartes de leurs résidences et celles de pollution aux huit polluants visés, poursuit Delphine Praud. Les analyses statistiques ont montré un risque accru de ce cancer lié à l exposition à cinq polluants de l air : le benzo[a]pyrène et les PCB mais aussi le dioxyde d azote et les particules fines PM2,5 et PM10, donc pas seulement ceux ayant un effet de perturbateur endocrinien. Si les femmes de la cohorte avaient été exposées au dioxyde d azote à des taux inférieurs aux seuils recommandés par l OMS, 9 % de ces cancers du sein auraient pu être évités. Pour autant, l étude a révélé une amélioration de la qualité de l air sur la période analysée, avec le durcissement de la réglementation des polluants d origine industrielle, nuance l épidémiologiste. Mais, même si les concentrations de ceux issus du trafic urbain et du chauffage domestique et de l ozone, liées au réchauffement climatique, sont aussi en baisse, elles restent au dessus des seuils recommandés par l OMS.
DÉFINIE ET DÉFENDUE PAR L OMS
En 1994, lors de la conférence d Helsinki, l Organisation mondiale de la santé (OMS)
a défini pour la première fois la santé environnementale. En incluant les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux,
psychosociaux et esthétiques de notre environnement , elle en fait une action
prioritaire. En 2021, elle a créé un recueil de 500 actions visant à réduire les décès
et les maladies dus aux facteurs de risque environnementaux.
Une seule santé pour nouvelle approche Les pollutions chimiques et atmosphériques sont devenues la première cause de mortalité dans le monde, devant le tabagisme actif et passif, s alarme, de son côté, Pierre Souvet, cardiologue et président fondateur de l Association Santé environnement France. Malgré les différents plans nationaux santé environnement, je n ai pas encore vu arriver les moyens correspondant aux enjeux. Et de citer l étude ESTEBAN sur la contamination des métaux de la population française, publiée par Santé Publique France en 2021. Celle-ci a révélé un taux d imprégnation au cadmium, principalement issu de l utilisation de certains engrais destinés aux céréales, supérieur aux seuils conseillés chez les enfants. Rien n a été encore fait pour réduire cette imprégnation alors que le cadmium est reconnu être lié à certains cancers, notamment du pancréas dont la progression est inquiétante , déplore le Dr Souvet. Pour lutter contre cette inertie, l ASEF et sept autres organismes*, réunis dans l Alliance Santé et Biodiversité, défendent l approche Une seule santé ou One Health . Partant du principe que la santé humaine, la santé animale, la santé végétale et le fonctionnement des écosystèmes sont étroitement interdépendants, nous souhaitons que cette vision globale et pluridisciplinaire de la santé environnementale entre dans les textes de loi et réglementaires, précise Pierre Souvet. Nous portons une proposition de loi dans ce sens. L ASEF milite également en faveur d une meilleure formation des professionnels de santé, mais aussi de toutes celles et tous ceux dont les actions influent sur la santé : les urbanistes, les architectes, les élues et élus
SANTÉ ENVIRONNEMENTALE : L HEURE EST À LA MOBILISATION
DOSSIER
Réalisé par Katia Vilarasau
* La Fédération des syndicats des vétérinaires de France, France Nature Environnement, Humanité et Biodiversité, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, la Société francophone de santé et environnement, l Union internationale pour la conservation de la nature et la Société française pour le droit de l environnement.
RAGNAR WEISSMANN, DOCTEUR EN MICROBIOLOGIE
ET TOXICOLOGIE, DIRECTEUR SCIENTIFIQUE
DE L'ASSOCIATION OBJECTIF SANTÉ ENVIRONNEMENT.
TRANSFORMER LES CONNAISSANCES
EN ACTIONS
EXPERT
De quelle manière intervenez-vous pour inciter les collectivités locales, les entreprises et les établissements de santé à intégrer les questions de santé environnementale dans leurs pratiques ? Nous formons une équipe pluridisciplinaire de scientifiques engagés en santé environnementale (toxicologues, gynécologues-obstétriciens, médecin nutritionniste, endocrinologue, pédiatre ) à laquelle s associent d autres spécialistes selon les besoins. Nous intervenons à la fois en présentiel et en distanciel, et créons des outils pédagogiques différents (affiches, vidéos, bandes dessinées, MOOC ) adaptés à tous les publics.
Notre objectif est de diffuser les connaissances scientifiques internationales en santé environnementale, d accompagner le changement. Mais, pour transformer les connaissances en actions concrètes sur le terrain, rien ne vaut les formations-actions qui permettent de faire participer activement les personnes à la démarche.
Quels sont les freins rencontrés ? S il est relativement facile de sensibiliser les soignants dans les hôpitaux à la qualité de l air ou aux perturbateurs endocriniens, à l importance de sélectionner les produits d entretien, les matériaux de construction et les fournitures, il est plus difficile de faire le lien avec les autres services en charge du nettoyage, des achats Beaucoup d actions sont basées sur le volontariat car la réglementation en matière de santé environnementale est encore insuffisante. Il faut adopter une démarche transversale, mettre l accent sur les avantages à travailler ensemble, notamment les impacts positifs sur la qualité de vie au travail (QVCT), la sécurité ou bien encore les gains financiers. Il s agit de trouver la bonne porte d entrée dans chaque structure et mettre le doigt sur les facteurs déclenchant qui vont donner envie de changer de vision et de comportement.
Émergence de collectifs citoyens Des groupes impliquant citoyens et scientifiques voient aussi le jour. À l instar de l Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône, le collectif Stop aux cancers de nos enfants du pays de Retz en Loire-Atlantique projette de créer cette année un Institut de recherche et de prévention en santé environnementale. Sa mission ? Agréger des données et pallier ainsi le manque d études et d analyses environnementales officielles. Prendre en compte l exposome, c est à dire l ensemble des expositions subies par un individu ou une population durant sa vie entière, est devenu un enjeu majeur de santé publique , conclut le Dr Souvet.
Infléchir les pratiques médicales Pour favoriser l intégration des considérations environnementales au cœur des pratiques de santé également, de multiples initiatives émergent. Un Guide du cabinet santé éco responsable, proposant des pistes de réflexions et actions concrètes, a été publié en 2021 (éd. Presses de l EHESP). La Conférence des doyens de médecine a lancé, le 1er février 2023, un MOOC sur la santé environnementale qui sera intégré dans les études médicales. Autre action : Maternité saine , née au début des années 2010, d abord déployée en Aquitaine, puis en Occitanie et en Île-de-France, et enfin en Bretagne. Son but ? Garantir un environnement plus sain aux soignants, ainsi qu aux parents et nouveau-nés. Copilotée par l Agence régionale de Santé Bretagne et le Réseau périnatalité Bretagne, elle comporte une phase de sensibilisation des soignants, puis une mise en pratique visant à identifier les priorités d actions à mettre en œuvre, au travers d un auto diagnostic , explique Ragnar Weissmann expert en santé environnementale et directeur scientifique de l association Objectif Santé Environnement (OSE), qui porte cette démarche.
En Bretagne, 19 maternités sur les 22 que compte la région sont impliquées, l idée étant d aboutir à l établissement d une Charte santé environnementale dans l ensemble de ces établissements de santé fin 2023. Agir sur la période clé de la grossesse est décisif car nous connaissons aujourd hui son impact sur des pathologies pouvant survenir plus tard, comme le diabète, les problèmes de fertilité, ou les maladies cardiovasculaires, ajoute le Dr Weissmann. C est la raison pour laquelle nous avons accompagné l an dernier le département de la Corrèze dans la mise en place d un numéro vert (le 0800 119 120) et d un contact par mèl (sante environnementale@ infoscontact. com), afin de répondre aux questions que peuvent se poser les futurs ou jeunes parents et de les guider vers un mode de vie plus sain durant les 1 000 premiers jours de l enfant. À l Est, Strasbourg a rejoint la charte Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens initiée par le réseau Environnement Santé (RES). Toutes ses administrées enceintes peuvent, à ce titre, bénéficier d une ordonnance verte comprenant deux ateliers de sensibilisation aux perturbateurs endocriniens et, chaque semaine, de sept paniers de légumes bio, issus de circuits courts et gratuits.
06 - Valeurs Mutualistes n°331 - 1er trimestre 2023