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11 - Valeurs Mutualistes n°332 - 2e trimestre 2023
QUAND LA LUMIÈRE RESTAURE
LA VUE
OPTOGÉNÉTIQUE
ASSOCIANT THÉRAPIE GÉNIQUE
E T O N D E S L U M I N E U S E S ,
L OPTOGÉNÉTIQUE A PERMIS
À U N PAT I E N T AT T E I N T
D E C É C I T É D E R E T RO U V E R
P A R T I E L L E M E N T L A V U E .
UNE PREMIÈRE MÉDICALE FRANÇAISE
TRÈS PROMETTEUSE.
Domaine de recherche et d application, développé depuis 2006, l optogénétique a un grand avenir devant elle. Il s agit d une stratégie permettant de rendre des cellules sensibles à la lumière pour en prendre le contrôle fonctionnel par la stimulation lumineuse. Cette sensibilisation lumineuse de la cellule est réalisée grâce à une opsine (une protéine qui réagit à l énergie lumineuse) qui peut provenir d algues ou d autres organismes. C est une forme de thérapie génique qui permet d introduire le code génétique de l opsine dans les cellules ciblées , explique Serge Picaud, directeur de l Institut de la vision et directeur de recherche à l Inserm.
UN PREMIER ESSAI RÉUSSI Actuellement, la seule application clinique de l optogénétique est la restauration de la vue pour des patients devenus aveugles. Suite à la perte des photorécepteurs, d autres cellules de la rétine sont renduessensibles à la lumière pour remplacer les photorécepteurs naturels , souligne Serge Picaud. En mai 2021, un homme, qui souffrait depuis quatorze ans d une cécité liée à une rétinopathie pigmentaire à un s t ade avancé (ndlr : dégénérescence des photorécepteurs, les cellules naturellement sensibles à la lumière dans sa rétine), a ainsi recouvré la vue. Ce, grâce à une équipe de recherche internationale dirigée par les Prs José-Alain Sahel et Botond Roska, associant l IHU FOReSIGHT qui regroupe l Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS) et le Centre hospitalier national d ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts, l université de Pittsburgh, l Institut d ophtalmologie moléculaire et la clinique de Bâle (IOB) ainsi que les sociétés Streetlab et GenSight Biologics. Dans la pratique, le gène d une protéine sensible à la lumière ambrée a été introduit dans des cellules présentes au fond de son œil et les a transformées en pseudo-photorécepteurs. Une fois ses cellules rétiniennes modifiées, cet homme a été équipé de lunettes qui projettent sur sa rétine ce qui est devant lui sous forme d images rouge orangé d intensité lumineuse élevée. Sa rétine ainsi activée par les signaux lumineux lui a permis, au bout de plusieurs mois, de discerner les contours des objets situés non loin de lui, puis de les toucher et de les manipuler !
UN LARGE POTENTIEL D APPLICATIONS
L optogénétique est utilisée dans d autres domaines que l ophtalmologie. Elle pourrait permettre, dans un avenir plus ou moins lointain, de compenser des pertes auditives, de réduire des douleurs neuropathiques (douleurs liées à un mauvais fonctionnement ou une lésion du système nerveux) ou d activer des régions du cerveau endommagées par un traumatisme. Elle pourrait aussi être utilisée en immunothérapie pour traiter les tumeurs de cancers hématologiques grâce à des super cellules immunitaires activées, puis tuées par la lumière grâce à la méthode dite du gène suicide , afin de limiter les réponses auto-immunes trop importantes.
UNE MARGE DE PROGRESSION ENCORE POSSIBLE Les résultats de ce succès, une première mondiale, ont été publiés dans la revue Nature Medecine le 24 mai 2021. C est la première fois que l optogénétique, technique très utilisée depuis une dizaine d années dans le domaine des neurosciences sur les animaux de laboratoire, l est dans un cadre clinique, pour traiter une maladie humaine. Un essai de phase 3 sur plusieurs patients doit être lancé pour confirmer ces très bons résultats mais ils ouvrent déjà de nouvelles perspectives. L optogénétique a actuellement été testée pour des patients atteints de rétinopathie pigmentaire, mais elle pourrait également s appliquer à d autres pathologies avec dégénérescence des photorécepteurs comme la dégénérescence maculaire liée à l âge. La qualité de la vue restaurée déterminera le domaine d application de cette thérapie pour laquelle une marge de progression est encore possible depuis cette première mondiale à Paris , conclut Serge Picaud.
Violaine Chatal pour France Mutualité et Séverine Bounhol