COMMENT AVEZ-VOUS RÉAGI QUAND IL VOUS A ÉTÉ PROPOSÉ DE PARTICIPER À LA CONVENTION ? Antonin D. : J ai d abord pensé à une arnaque Puis, en écoutant la personne qui m appelait, je me suis dit que ce type d événement ne se présentait qu une seule fois dans une vie. Clothilde L. : J ai été extrêmement surprise. Quelques jours avant, j avais fait une intervention en unité de soins palliatifs à l hôpital Bretonneau (Paris) sur l accompagnement des proches de malades en fin de vie. J ai donc d abord pensé avoir été choisie pour mon expertise, mais j ai appris que j avais été tirée au sort(1). Aujourd hui, je pense que je n'ai pas été là par hasard, que je devais être là.
Clothilde L., 37 ans, juriste à l AP-HP à Paris, et Antonin D., 27 ans, chef d entreprise dans le secteur du nautisme à Marseille, ont été des 184 participants à la Convention citoyenne sur la fin de vie clôturée le 2 avril dernier. Ils témoignent avec conviction de l intérêt de débattre d un sujet aussi important dans un cadre apaisé.
AVIEZ-VOUS DÉJÀ APPRÉHENDÉ LE SUJET DE LA FIN DE VIE ? C. L. : Oui. Mon papa a fait une rupture d anévrisme cérébral à l âge de 50 ans. Il a été opéré, intubé, sédaté. Quand son cerveau a saigné à nouveau, les médecins ont refusé de le réopérer pour ne pas être dans l acharnement thérapeutique. Il était en état de mort cérébrale et la loi leur permettait de débrancher les machines sans nous demander l autorisation. Cette expérience m a motivée à me spécialiser en droit de la santé. A. D. : J ai vu des proches finir leur vie à l hôpital. Je sais comme il est alors difficile de faire face à la souffrance.
QU AVEZ-VOUS APPRIS SUR LA FIN DE VIE ? A. D. : Sur le fond, j ai pu faire un état des lieux objectif sur cette question, mais aussi débattre avec des gens venant d univers différents, dans la bienveillance. Sur la forme, j ai expérimenté ce que peut être un exercice de démocratie pure, participative. C. L. : Je suis arrivée avec certaines connaissances, mais j ai énormément appris. J ai découvert d autres angles d approche. C'est surtout grâce à celles et ceux qui ne partageaient pas mon point de vue que j'ai avancé sur le sujet.
COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU LES QUATRE MOIS DE CONVENTION ? A. D. : Comme une expérience humaine exceptionnelle, une des plus belles de ma vie. Nous avons créé des liens forts entre nous, de réelles amitiés. Il a été très dur de se quitter ; certaines et certains d entre nous ont pleuré. C. L. : Cela a été très intense, oui, très riche humainement et émotionnellement.
VOUS FAITES PARTIE DES 92 % DE PARTICIPANTES ET PARTICIPANTS S ÉTANT PRONONCÉS POUR UNE AIDE ACTIVE À MOURIR (SUICIDE ASSISTÉ ET/OU EUTHANASIE). AVEZ-VOUS CHANGÉ VOTRE AVIS DE DÉPART ? A. D. : Non. J étais déjà favorable à l aide active à mourir. Mais je suis sorti d un schéma et passé à une pensée plus affinée. Sans être influencé. C. L. : Je suis arrivée avec des convictions, pas des certitudes. J étais pour le suicide assisté et l euthanasie active sans condition et de manière universelle. J en ressors avec l envie que le gouvernement prenne en considération nos travaux pour légiférer sur le suicide assisté, avec exception d'euthanasie, parce qu il y a des personnes qui n arriveront jamais à se donner la mort elles-mêmes.
QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LA CAPACITÉ QUE VOUS AVEZ EU À TRAVAILLER À 184 SUR UN SUJET AUSSI GRAVE ? A. D. : Ce sujet est difficile dans le registre des émotions, contrairement au climat ou à l immigration qui opposent les gens sur des valeurs. Là, nous partagions toutes et tous la même tristesse, la même empathie, et avons respecté l avis de l autre. C. L. : J ai été stupéfaite par l écoute et le respect de chacune et chacun. Cette intelligence collective nous a permis de produire un travail de qualité dans un respect mutuel, contrairement à certaines femmes et certains hommes politiques incapables de s entendre. Monsieur Leonetti a osé dire que nous n étions pas légitimes : nous avons démontré le contraire ! Parce que nous avons en commun de l humanité et sommes attachés aux valeurs de la République.
Photos : © Katrin Baumann / CESE
VOUS AVEZ ÉTÉ REÇUS PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE QUI A ANNONCÉ UN PROJET DE LOI POUR LA FIN DE L ÉTÉ. QU ATTENDEZ-VOUS DÉSORMAIS ? A. D. : J espère que notre avis sera à nouveau sollicité, que les soignants seront écoutés, qu il y aura plus d égalité territoriale, que les soins palliatifs se développeront, que les plus précaires auront aussi le droit de mourir dans la dignité C. L. : Oui, il y a une inégalité territoriale tant en matière d unités de soins palliatifs que d équipes mobiles de soins palliatifs pour des patients qui choisissent de mourir à la maison. Il faut absolument que la culture palliative soit développée en France et que la loi Clayes-Leonetti(2) soit mieux connue du grand public. Je fais confiance au Président. Nous allons sans doute nous inspirer d autres pays pour créer notre propre modèle qui pourrait être proche de celui de l Oregon (États-Unis) avec le suicide assisté. Et ce sera déjà une avancée.
Propos recueillis par Carine Hahn
CLOTHILDE ET ANTONIN, CITOYENNE ET CITOYEN DE LA CONVENTION SUR LA FIN DE VIE
QUELQUES MOTS AVEC
12 - Valeurs Mutualistes n°332 - 2e trimestre 2023
(1) Le tirage au sort a été effectué selon six critères : sexe, âge, typologie d aire urbaine, région, niveau de diplôme, catégorie socio-professionnelle.
(2) En 2016, elle a renforcé le droit d accès aux soins palliatifs, mis en place par la loi Kouchner de 1999. Elle autorise les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance qui permettent aux citoyens d exprimer leurs volontés.
LIGNES DE VIE DE LA CONVENTION 9 octobre 2022 : Élisabeth Borne,
Première ministre, saisit le Conseil économique social et environnemental, autour de cette question : Le cadre d accompagnement de la fin de vie est- il adapté aux différentes situations rencontrées ou d éventuels changements devraient-ils être introduits ?
9 décembre 2022 : débuts des travaux de la Convention.
2 avril 2023 : dernière session.
3 avril 2023 : remise du Rapport de la Convention au Président Emmanuel Macron.
9 sessions de travail, soit 27 jours de débats et travaux durant lesquels 60 expertes et experts, personnalités, ont été consultés.
1 rapport de 150 pages et 146 propositions.