DES STÉRÉOTYPES DE GENRE, EN MÉDECINE AUSSI
DOSSIER
Réalisé par Isabelle Guardiola
Clichés sexistes, représentations sociales inconscientes ou implicites, femmes et hommes non soignés à l identique : les inégalités perdurent en matière médicale. Des chercheuses et chercheurs, ainsi que des professionnels de santé, s attellent cependant à faire de la question du sexe et du genre un enjeu de santé public.
L infarctus serait une maladie d homme quinquagénaire, stressé au travail ; les troubles du spectre autistique ne toucheraient qu exceptionnellement les femmes ; les femmes seraient deux fois plus sujettes à la dépression que les hommes en raison de leurs hormones ; l ostéoporose serait l apanage des femmes ménopausées ; l endométriose(1), une affaire de femmes fragiles et souffreteuses et non une pathologie organique...
Des clichés et tabous aux conséquences dangereuses Et pourtant. La réalité dément des représentations sociales encore trop ancrées, aux conséquences délétères, pour la santé des femmes, et des hommes aussi. Ainsi, en France, 56 % des femmes meurent de maladies cardiovasculaires contre 46 % des hommes. Ce, notamment, à cause de la méconnaissance de symptômes atypiques (épuisement, essoufflement, douleurs au dos, palpitations, troubles digestifs), les signaux masculins servant encore principalement de référence. À cause, aussi, d appels aux urgences plus tardifs de quinze minutes que pour les hommes, ou encore d une prise en charge plus lente à l'arrivée à l hôpital (29 % des femmes ont un électrocardiogramme dans les dix minutes après l entrée aux urgences, contre 38 % des hommes pour une même suspicion d infarctus, selon des études réalisées par le service de cardiologie de l hôpital Lariboisière et le centre de santé de l Université McGill à Montréal). Même biais genré expliquant que les filles autistes sont diagnostiquées et prises en charge plus tard que les garçons : le retrait sur soi, le défaut d interactions sociales sont plus facilement considérés chez une fille comme de la réserve et de la timidité, et donc moins suspects. Autre exemple, les hormones des femmes les rendraient plus fragiles et vulnérables que les hommes face à la dépression : une idée reçue contredite par des recherches récentes montrant que la précarité économique qui touche majoritairement les femmes constitue le premier facteur de risque. À contrario et à rebours des clichés, l ostéoporose touche également les hommes : un quart des fractures liées à cette maladie osseuse survient chez eux, particulièrement les plus âgés, au-delà de soixante- quinze ans. Avec des conséquences plus graves puisqu un homme sur trois décède dans l année qui suit une fracture du col du fémur, contre une femme sur cinq.
En 1995, l OMS s est dotée d un département Femmes, genre et santé. Nommée en 2013 au comité éthique de l Inserm, la neurobiologiste Catherine Vidal, qui a créé le groupe Genre et recherche en santé, formule : Il faut toujours prendre en considération les interactions entre les facteurs biologiques liés au sexe et les facteurs socio-culturels liés au genre. Il faut encourager la recherche, notamment en biologie fondamentale, pour comprendre les mécanismes fondamentaux génétiques et expliquer pourquoi certains cancers se développent différemment chez les hommes et les femmes. Sans oublier que la santé est aussi une affaire de société et que les sciences humaines et sociales nous éclairent sur les facteurs de vulnérabilité précarité économique, monoparentalité, violences, charges domestiques auxquels sont plus exposés les femmes.
Former et informer Pour lutter contre ces stéréotypes et les inégalités de santé, le Haut conseil à l égalité entre les hommes et les femmes a préconisé de sensibiliser le grand public dans un rapport remis en décembre 2020(2). Il a pointé, en outre, l inexistence de formation initiale des étudiantes et étudiants sur la thématique genre et santé (mis à part à la faculté de médecine de Lyon) et l insuffisance de formations plus spécifiques sur la santé sexuelle et reproductive ainsi que sur les violences à destination des professionnels de santé. À l heure où l on parle de plus en plus de médecine personnalisée , il devient indispensable d intégrer ces différences liées au sexe et au genre dans les pratiques et attitudes professionnelles , a écrit, pour sa part, la Haute Autorité de santé, dans son rapport de 2020 Sexe, genre et santé.
Vers une approche bio-sociale Cependant, le sujet est progressivement pris en considération comme un enjeu public. Certains signes en témoignent. En mars 2023, le congrès de médecine générale a consacré, pour la première fois, une session aux inégalités sociales de santé et de genre. Depuis une quinzaine d années, la participation de femmes aux essais cliniques équivaut pratiquement à celle des hommes : selon le registre international des essais cliniques (OMS/ NIH), elle est passée de 35 % en 1995 à 58 % en 2018. La représentation des femmes y demeurant encore insuffisante pour quelques pathologies, telles l insuffisance cardiaque, le cancer du poumon, la douleur ou encore le sida... Par ailleurs, depuis une dizaine d années, une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs s engagent dans une démarche d intersectionnalité : elle consiste à aborder les questions de santé en tenant compte à la fois du sexe biologique, du genre, du niveau socio- économique et de l appartenance ethnique. Cette approche, beaucoup plus fine et nuancée, suppose un apport pluridisciplinaire. C est le cas du projet GENDHI (Gender and Health Inequalities), financé par l Union européenne, coordonné par Nathalie Bajos, sociologue- démographe, directrice de recherche à l Inserm, qui s attaque aux biais de genre dans des pathologies fréquentes : hypertension et infarctus du myocarde, dépression, maladie d Alzheimer, cancer colorectal. L objectif : comprendre comment interagissent les facteurs biologiques, socio-culturels et économiques pour construire des inégalités sociales de santé, de la petite enfance à l âge adulte. Notons, pour finir, qu afin de construire des politiques publiques prenant en compte les interactions entre sexe et genre dans le domaine de la santé, le Haut conseil à l égalité entre les hommes et les femmes appelle de ses vœux la création d un institut français Genre et Santé. Une démarche impérative pour contribuer à combler le retard de la France dans ce domaine.
ALICE DE MAXIMY, FONDATRICE DU
COLLECTIF FEMMES DE SANTÉ QUI MILITE POUR UNE STRATÉGIE
NATIONALE DE LA SANTÉ DE LA FEMME.
LES SOLUTIONS POUR UNE SANTÉ
PLUS ÉGALITAIRE SONT NOMBREUSES
EXPERTE
Comment est né le collectif Femmes de santé ? La santé fonctionne en silos : public, privé, typologie de maladies et de statut (patients, aidants, hiérarchie soignante et médicale ). Je défends, au contraire, le fonctionnement en collectif. J ai eu envie de mettre en lumière des femmes qui montaient des initiatives en santé et ai fondé ce collectif, porté par la start-up Hkind.
Quelle méthodologie avez-vous utilisée ? Une synthèse bibliographique à partir de 19 études, sur la santé de la femme, les maladies féminines, la e-santé, nous a fait constater des difficultés transverses : les femmes sont victimes d un retard tant au niveau de la prévention que des diagnostics, que ce soit dans le domaine des maladies cardiovasculaires, du cancer du sein, des troubles de la croissance chez les petites filles ou encore des pathologies liées au cycle menstruel ; elles font passer leur propre santé après celle des autres ; elles reportent davantage leurs soins que les hommes ; les applications de santé dédiées aux femmes présentent des limites.
Quelles solutions concrètes proposez- vous ? Elles sont nombreuses. Tels des dépistages organisés sur le temps de travail, voire programmés par l employeur. Pour les femmes ne travaillant pas, les CAF pourraient organiser des gardes d enfants afin qu elles puissent se libérer. Un hackathon national annuel portant sur les préventions chez les femmes contribuerait à favoriser l innovation. L étude d outils concrets (de type violentomètre, pour les violences faites aux femmes), en direction des professionnels de santé, leur permettrait d évaluer le degré de connaissance et de compréhension de leurs patientes sur leurs maladies.
Propos recueillis par Isabelle Guardiola
CONTRE LE SEXISME EN MILIEU MÉDICAL
Seuls 20 % des postes de PU-PH (professeure/professeur des universités praticienne/praticien hospitalier) sont aujourd hui occupés par des femmes.
Le collectif Donner des elles à la santé alerte sur la parité inaboutie entre hommes et femmes dans les postes à responsabilité du secteur médical, mais aussi sur les
comportements sexistes (propos choquants, gestes inappropriés), dont 80 %
des médecins hospitaliers femmes ont été victimes en 2022. Son site Internet propose
une charte de l égalité professionnelle en établissement de santé et des pistes
d actions concrètes.
(1) Elle a fini par aussi faire l objet d un plan national... en 2019, seulement. (2) L Inserm s y est aussi employé dans une campagne d information en
six vidéos intitulées Genre et santé : attention aux clichés !, portant sur la dépression, la durée de vie, les maladies cardio-vasculaires, l ostéoporose, la douleur, l imagerie cérébrale.
En finir avec une tradition médicale masculine Comment expliquer ces différences d approche et de traitement ? Les standards diagnostiques et thérapeutiques sont construits à partir de la norme masculine, estime Muriel Salle, historienne de la santé. Ils ont conduits à invisibiliser les femmes longtemps non incluses dans les essais cliniques ou à en donner une vision tronquée, centrée sur une spécificité qui semble l exclusivité féminine : leur appareil gynécologique et leur fonction de procréatrice. Néanmoins, à partir des années 70, lentement, la critique d une discipline médicale andro-centrée, autrement dit construisant des savoirs et des pratiques scientifiques inégalitaires selon le sexe et genre, s est exprimée. Sexe et genre, sont deux concepts différents et complémentaires en santé, dont la distinction est loin d être évidente mais importante : le sexe relève de la biologie, de la nature ; quand le genre est social.
06 - Valeurs Mutualistes n°332 - 2e trimestre 2023