L épidémie de Covid-19 a démontré que les dimensions sociales et sanitaires étaient
étroitement liées.
LE VIRUS DE LA COVID-19, VECTEUR D INÉGALITÉS
L épidémie de Covid-19 n a pas frappé tout le monde de la même manière. Il est aujourd hui établi que les personnes les plus vulnérables ont été davantage touchées, non seulement en raison de leur âge ou de leur état de santé, mais également de leur classe sociale.
Le virus a jeté dans la lumière les différences de chances entre les individus d être en bonne santé selon leur niveau de revenus, leur lieu d habitation ou leur environnement. L épidémie a été à la fois le révélateur et un facteur aggravant des inégalités sociales de santé , confirme Nicolas Leblanc, médecin de santé publique qui a publié en juin dernier, avec l épidémiologiste Alfred Spira, Santé, les inégalités tuent (éd. du Croquant). La Covid 19 s est développée dans un contexte de fortes inégalités sociales et économiques, qu elle a contribué à creuser un peu plus : selon le magazine Challenges, les 500 plus grandes fortunes françaises représentent actuellement 44 % du Produit intérieur brut (PIB), contre 43 % en 2021 et 10 % en 2010 quand le taux de pauvreté touchait, pour sa part, 9,3 millions de personnes en 2020, contre 8,9 millions en 2017, selon une estimation de l Insee.
UNE OCCASION MANQUÉE DE S ATTAQUER AUX INÉGALITÉS
La question des inégalités sociales de santé (ISS) a largement été oubliée dans la réponse initiale
à la Covid-19, alors qu elle devrait pourtant être une priorité en contexte pandémique. Une étude
l a mis en évidence : HoSPiCOVID. Elle a été menée par une équipe de recherche composée de spécialistes
internationaux en épidémiologie, médecine, santé publique, sciences sociales et géographie.
Ces derniers se sont penchés sur la prise en compte de ses ISS dans la planification du dépistage et du suivi des contacts en France, au Brésil,
au Mali et au Québec.
DOSSIER
Des inégalités en hausse et exacerbées Pendant l épidémie, les personnes socialement défavorisées ont cumulé un plus fort risque d exposition, de contamination et de transmission, du fait de leurs conditions de logement, de transports et de travail, poursuit Nicolas Leblanc. Notamment les travailleurs essentiels des secteurs des services à la personne, de l entretien, des supermarchés, de la livraison Ce sont également ces catégories sociales qui réunissent le plus de risques de développer, à un âge plus jeune que le reste de la population, des maladies chroniques telles que l obésité, le diabète, l hypertension artérielle, etc., favorisées par les mauvaises conditions sociales. Ces comorbidités aggravent, à leur tour, le risque de présenter des formes graves de la maladie. Les personnes en situation de pauvreté ont, en outre, un accès plus limité aux services et soins de santé que l ensemble de la population, pour des raisons sociales et financières. Les inégalités se répartissent selon un gradient social, ajoute Nicolas Leblanc. Plus on descend dans les catégories sociales, plus l espérance de vie diminue. Ce qui explique l écart de treize ans entre l espérance de vie des 5 % des hommes les plus pauvres et les 5 % des hommes les plus aisés. Alors que la crise économique de 2008 produit encore ses effets, celle liée à la Covid 19 génère une crise sociale dont les répercussions en termes de santé viennent se surajouter.
Le coronavirus a été un révélateur des inégalités sociales, territoriales et environnementales.
Les plus pauvres doublement pénalisés L épidémie a également exacerbé les mécanismes d exclusion sociale, selon Nicolas Duvoux et Nadège Vezinat, professeurs de sociologie à l Université Paris 8 (Cresppa LabTop), qui ont codirigé l ouvrage La santé sociale (éd. PUF). Après avoir d abord touché les catégories sociales supérieures, plus exposées du fait de leurs déplacements internationaux, le virus de la Covid, en circulant de façon plus intense, a descendu l échelle sociale. Il a alors doublement pénalisé les plus pauvres. Obligées de continuer à aller travailler au plus fort de l épidémie pour des raisons économiques et étant, par ailleurs, dans l incapacité de se protéger du fait de leurs conditions de logement, les catégories les plus modestes de la population ont été plus durement frappées par la pandémie. Elles ont été également davantage impactées par les conséquences des confinements qui ont entraîné une dégradation de leurs conditions matérielles de vie et un effet délétère sur leur santé mentale.
Davantage de syndromes dépressifs De fait, l enquête de la Direction de la recherche, des études, de l évaluation et des statistiques (Drees), publiée en juin à partir de la cohorte Épidémiologie et conditions de vie (EpiCov), sur les conséquences de l épidémie sur le quotidien et la santé des individus, montre bien que les critères sociaux jouent un rôle déterminant dans la santé mentale des personnes ayant traversé la crise sanitaire. Les pensées suicidaires, le recours aux soins ou encore la présence d un diagnostic psychiatrique sont marqués par de fortes inégalités sociales. C est parmi les personnes dont le ménage appartient aux 20 % les plus modestes que les taux d indicateurs dégradés sont les plus élevés , précise l étude de la Drees. Dans cette catégorie sociale, la prévalence des syndromes dépressifs atteint 16 %, alors qu elle n est que de 8 % chez les 20 % les plus aisés. A contrario, et à rebours des idées reçues, la part de personnes dont la consommation d alcool excède les recommandations sanitaires est plus importante chez les plus aisés que chez les plus modestes : 25 % versus 17 %.
Des régions plus touchées que d autres Le coronavirus a également été un révélateur des inégalités territoriales. Les données concernant la répartition géographique du nombre de cas de Covid 19 ayant nécessité une hospitalisation et du nombre de décès liés à la première vague de l épidémie montrent que ce sont les départements de la région Grand Est, des Hauts de France et de l Île de France qui ont été les plus touchés(1). En cause : une densité démographique accrue pour son rôle dans la propagation du virus, une part élevée d ouvriers dans la population active en raison des moindres possibilités de pratique du télétravail, mais aussi un nombre inférieur de services d urgence ou de médecins généralistes. Plus généralement, les particularités du développement local, les politiques de transport et d habitat ou encore la qualité environnementale (présence de sites pollués, accès à des espaces verts ) créent des configurations territoriales inégalement favorables pour la santé, comme l a démontré dans sa thèse datant de 2020(2) Virginie Chasles, professeure de géographie à l université Jean Monnet de Saint Étienne. Les expositions environnementales peuvent également se transmettre et rendre plus vulnérable la santé des générations à venir. Or, le niveau de santé au début de la vie a des répercussions profondes et persistantes sur l éducation, le taux d emploi et le niveau de revenu tout au long de la vie, explique Virginie Chasles dans une tribune parue dans Libération, en mars 2022(3). Être exposé à des facteurs défavorables à la santé compromet l égalité des chances des générations actuelles et à venir. Préserver la qualité de notre environnement, comme nous empresse de le faire le dernier rapport du Giec [NDLR : datant de février 2022], c est donc tout à la fois lutter contre les inégalités de santé et les inégalités sociales.
Faire une place aux citoyens L épidémie de Covid 19 n a pas seulement mis l accent sur les déterminants sociaux de la santé. Avec la crise sanitaire, les citoyens ont montré, au travers des débats sur les traitements, les masques, les tests diagnostiques, la vaccination, un besoin accru de participer aux choix de santé, observe Nicolas Leblanc. D autres revendications en matière de santé publique vont très probablement émerger, portées notamment par les conséquences du dérèglement climatique et des menaces sur la biodiversité. Il est donc primordial d écouter leurs besoins, que ce soit au travail, dans leur logement, les écoles. Ce, de façon moins institutionnalisée, par le recours aux outils numériques (ex. : plateforme en ligne) notamment, mais pas seulement. Les jurys, conférences et conventions citoyennes pourraient aussi être mis à profit pour construire une politique de santé publique digne de ce nom.
La Covid-19 a exacerbé les mécanismes d exclusion sociale.
NICOLAS LEBLANC, MÉDECIN SPÉCIALISÉ EN SANTÉ PUBLIQUE
ET MÉDECINE SOCIALE.
La bonne santé n est donc pas seulement une question médicale Non, en effet. Car les politiques publiques du logement, de l éducation, des transports peuvent réduire ou exacerber les inégalités en matière de santé. Les travaux de l épidémiologiste Alfred Spira ont, par exemple, démontré qu instituer la gratuité des transports en commun pour les personnes âgées permet de diminuer leur isolement social et s accompagne d une diminution des symptômes dépressifs. Il est nécessaire d évaluer les impacts sur la santé de chaque politique sociale.
NOS POLITIQUES PUBLIQUES INFLUENT SUR NOTRE SANTÉ
EXPERT
Bénéficier d un système de protection sociale de haut-niveau comme en France est-il suffisant ? Si notre système de protection sociale a contribué à juguler les effets de l épidémie, il ne permet pas de réduire les inégalités sociales de santé. La lutte contre celles-ci est un chantier de longue haleine, beaucoup plus structurel. Elle appelle des politiques sociales qui dépassent le cadre des seules politiques de santé et les simples actions de terrain, incapables de s attaquer à leurs sources.
Vous appelez à un nouveau modèle de développement. Pourquoi ? La pandémie de Covid-19 nous a fait prendre conscience de la fragilité de notre espèce ainsi que du mal dont souffre notre modèle de développement, insoutenable et inégalitaire. La problématique environnementale ne fera qu accroître les inégalités de santé, comme l a fait l épidémie de Covid-19. En période de canicule, il est plus facile de trouver un espace frais lorsque l on dispose d un jardin avec des arbres ou d une maison de campagne, que lorsque l on vit au trentième étage d un immeuble ! Les questions écologiques et sociales sont étroitement liées et nécessaires au développement humain en bonne santé.
Propos recueillis par Katia Vilarasau
06 Valeurs Mutualistes n°329 3e trimestre 2022