LA VIE IN UTERO, L ENFANCE ET L ADOLESCENCE
SONT DES PÉRIODES CLÉS DU DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU.
LES PSYCHOTHÉRAPIES PERMETTENT DE RÉÉQUILIBRER LA PERSONNE.
CE QUE NOUS VIVONS IMPACTE NOTRE ESPRIT MAIS AUSSI
NOTRE CORPS.
À RETENIR
09 Valeurs Mutualistes n°329 3e trimestre 2022
En 2019, dans les pays ayant subi un conflit au cours des dix années précédentes, plus d une personne sur cinq souffrait de dépression, de troubles anxieux, de stress post traumatique, de troubles bipolaires ou de schizophrénie, selon une étude de l OMS. Dans notre pays, depuis l ouverture du front sanitaire Covid 19, une hausse des passages aux urgences des moins de 15 ans pour des motifs psychiatriques a été enregistrée par Santé publique France. Dès lors, une question s impose : qu en sera t il de la santé des jeunes Français après les dix dernières années passées dans un environnement bouleversé par la crise sanitaire, le changement climatique, les attentats terroristes, le conflit en Ukraine, etc. ? Sans compter de possibles traumatismes violents (inceste, viol ) ou plus insidieux vécus dans leur milieu familial et plus largement leur entourage (manque de considération, honte, séparation des parents, peur...).
Les souffrances de l enfance peuvent expliquer les maladies chroniques de l adulte.
Notre cerveau n oublie rien L explication est à chercher du côté de notre cerveau. Telle une boîte enregistreuse, tout ce qui est vécu y laisse son empreinte. Qui plus est durant l enfance et l adolescence, périodes clés pendant lesquelles il se développe. Et même avant la naissance. Comme l explique encore Boris Cyrulnik, qui a présidé la commission des 1 000 premiers jours du développement de l enfant en 2020, les neurosciences montrent que, dès le quatrième mois de grossesse, les connexions neuronales se font à un rythme plus jamais égalé. Le neuropédiatre Shaul Herel, lui, a suivi 170 femmes enceintes confrontées à un choc traumatique : il a montré que leurs nouveau nés présentaient des altérations des zones fronto limbiques du cerveau, imagerie cérébrale à l appui. Un événement adverse (cf. encadré p.16), n est pas nécessairement massif comme peut l être une agression sexuelle ou un harcèlement scolaire. Il peut simplement relever de la négligence ou d un manque de considération. L adversité, c est la fin de l enfance ; c est le moment où on intègre une réalité nouvelle, où on porte une préoccupation que nous impose notre environnement. Lorsque le traumatisme du lien apparaît, c est parce que nos parents, nos figures d attachement, ne sont pas à la hauteur, pas en mesure de nous aimer , précise le psychologue Cyril Tarquinio.
ET SI NOUS ÉTIONS MALADES DE NOTRE PASSÉ ?
PRÉVENTION
Un lien corps-esprit avéré À la fin du XIXe siècle, la psychologie moderne a établi un lien entre nos expériences passées et nos souffrances à la vie adulte. Aujourd hui, la recherche scientifique confirme que les événements vécus négativement durant notre enfance et notre adolescence ne sont pas étrangers à l état de santé physique et psychologique des adultes que nous devenons. Elle envisage même qu il puisse exister une relation de causalité entre les souffrances du passé et les maladies chroniques du présent (troubles cardio vasculaires, cancer, diabète,addictions, etc.). Le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik l écrit, dans la préface de l ouvrage du psychologue Cyril Tarquinio, Les maladies ne tombent peut être pas du ciel (éd. Dunod, 2022) : La famine de Léningrad en 1943 illustre cette idée. Quand l armée nazie a encerclé la ville, l hiver était terrible. La Baltique gelée par des températures de moins 50 degrés ne pouvait plus transporter de vivres. En un an, il y a eu 800 000 morts de faim. Et pourtant 80 femmes enceintes ont pu mettre au monde 80 bébés. Quand la vie est revenue, les enfants ont repris un développement, mais à l âge de 18 ans, ils souffraient tous de troubles cognitifs et ont manifesté un diabète chronique.
Tout notre organisme peut être affecté Après un traumatisme durant l enfance, un ensemble de processus psychologiques et physiologiques se met en place. La plasticité neuronale est stoppée. Les neurones s entourent d une sorte de filet qui empêche le déploiement des connexions synaptiques. Non seulement le cerveau produit moins de neurones, mais ces derniers se figent. Et l épaisseur du cortex se réduit, explique Cyril Tarquinio. Le système limbique qui gère les émotions est altéré. Il prend alors le contrôle sur le néocortex, la partie du raisonnement et du traitement de l information, qui ne peut plus jouer son rôle de frein. Les personnes ayant subi un traumatisme sont donc constamment dans la peur, l insécurité, la tension. Elles sont en déséquilibre. Et, pour se rééquilibrer, certaines mangeront, boiront, se drogueront Des comportements qui préparent le terrain à des pathologies telles que les addictions, les troubles cardiovasculaires, le diabète, etc. Sans compter que la récurrence des hormones de stress a un effet sur le système immunitaire qui devient moins efficace pour lutter contre les attaques. Cellules nerveuses, système cérébral et système immunitaire sont touchés et c est ainsi tout l organisme de la personne qui peut dysfonctionner. C est comme si on était dans une voiture avec un accélérateur, mais sans pédale de frein. Il n y a plus de régulation , souligne Cyril Tarquinio. D où tout l intérêt d un accompagnement global de la personne pour réapprendre à conduire leur vie en toute sécurité.
Carine Hahn
QU EST-CE QU UN ÉVÉNEMENT ADVERSE ?
Il s agit d un événement qui va marquer un enfant ou un adolescent et le mener de la détresse (état d anxiété, de stress) au psycho-traumatisme. Il est alors dépassé dans ses capacités. Et les traces psychologiques, voire épigénétiques, laissées vont générer une transformation de son organisme. Cyril Tarquinio précise : Des travaux suisses montrent qu un inceste peut provoquer le dysfonctionnement des gènes sur trois générations.
TRANSFORMER LE PLOMB EN OR
Qu est-ce qui permet de rebondir malgré une enfance difficile ?
Cyril Tarquinio : Une personne a la capacité à trouver une réponse adaptative pour contrebalancer les effets de l adversité. Malheureusement, elle n a pas toujours la chance de trouver dans son environnement des ressources à l intérieur ou à l extérieur d elle même qui permettent de contrebalancer, de lui renvoyer l idée qu elle peut réussir dans la vie, qu elle est aimable, qu elle peut tordre le réel et inverser le déterminisme et, qu au fond, il y a de l espoir : des amis, un enseignant ou un entraîneur qui croient en elle et l encouragent et sur lesquels elle peut compter Taper au fond de la piscine, s en sortir malgré tout, c est trouver de l induction là où on devrait s effondrer, c est transformer le plomb en or. C est cela qui est magique. Nos ressources se révèlent dans l épreuve.
La psychothérapie permet-elle de réparer la cicatrice inscrite jusque dans notre ADN ?
C. T : Oui, parce qu elle permet une transformation de l environnement, de penser différemment son rapport au monde. Il s agit d inscrire la personne dans une histoire pour comprendre pourquoi elle en est arrivée à être alcoolique, par exemple, et de l aider à potentialiser ses forces de réparation. Soigner médicalement sa maladie alcoolique ne suffit pas. Vivre des événements positifs, se sentir heureux, se sentir amoureux, avoir une activité sportive ont aussi pour effet d inverser les choses. Tout cela contribue au rééquilibrage de la personne comme toutes les formes de psychothérapie.
Quelle approche proposez-vous à vos patients ? C. T : Une approche globale qui leur permet de revoir l organisation de leur vie sociale, leur alimentation, et leur santé physique. La psychothérapie, en tant que thérapie verbale, est un des éléments qui vise à prendre en charge les individus dans leur globalité. Je travaille aussi beaucoup avec l EMDR (eye movement desentization and reprocessing ou desensibilisation ou retraitement par les mouvements oculaires), la pleine conscience. Avec certains patients, qui ont une relation aux autres et à eux mêmes abîmée, je vais m appliquer à les aider à reconstruire leur environnement. La psychothérapie est alors très importante.
CYRIL TARQUINIO PSYCHOLOGUE, PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE CLINIQUE À L UNIVERSITÉ DE LORRAINE ET DIRECTEUR FONDATEUR DU CENTRE PIERRE JANET DE METZ.